Le regard que l’on porte sur la politique européenne de migration et d’asile détermine si c’est une réforme historique du régime d’asile européen commun (RAEC) qui a été décidée en avril 2024 ou si l’accord du Conseil et du Parlement n’est qu’une étape supplémentaire dans la longue histoire controversée de la politique migratoire européenne.
En septembre 2020, après l’incendie du centre d’asile de Moria sur l’île grecque de Lesbos, la Commission européenne a présenté son projet de réforme du système d’asile européen. Le dénommé Nouveau pacte sur la migration et l’asile visait à une transformation fondamentale du RAEC. La réforme est restée en suspens pendant de nombreuses années au Conseil de l’UE. Les États membres qui y sont représentés n’ont tout simplement pas réussi à se mettre d’accord sur la capacité de la réforme à éloigner réellement d’Europe les personnes en quête de protection.
Ce n’est que lorsque le Parlement européen a approuvé la réforme au printemps 2023 que le Conseil a également adopté une position – allant bien au-delà des propositions de la Commission. En décembre 2023, la procédure de trilogue s’est achevée et le Conseil a pu s’imposer en grande partie contre le Parlement, plus modéré.
Un seul cadre juridique pour toute l’Europe
Mais la réforme du RAEC a une histoire préliminaire encore plus longue. Le RAEC a été fondé au début des années 2000 dans le but d’établir un ensemble de règles unifiées en matière de droit d’asile pour tous les États membres de l’UE. L’objectif déclaré était de garantir un minimum de droits aux personnes en quête de protection dans toute l’UE. En même temps, le RAEC s’est appuyé dès le départ sur la logique clivante du règlement de Dublin, qui rend les États situés le long des frontières extérieures responsables d’une grande partie des demandes d’asile.
À partir de 2010, il s’est rapidement révélé que les bouleversements géopolitiques consécutifs à la crise financière mondiale allaient également entraîner de nouveaux mouvements de fuite. Les tentatives d’adaptation de la politique migratoire européenne ont échoué en raison des conflits d’intérêts entre les États membres. L’été de la migration, qui a entraîné les mouvements de fuite des années 2015/16, a illustré cet échec de manière impressionnante : les infrastructures d’asile et d’accueil de l’UE n’avaient pas suivi le rythme des nouveaux paramètres du monde, et le régime de Dublin s’est effondré face à plus d’un million de nouvelles arrivées en un an.
Une réforme sous la pression de la droite
Une première tentative de réforme du RAEC, lancée par la Commission en 2016 en réaction directe à l’été de la migration de 2015, n’a pas été approuvée par les États membres de l’UE. Parallèlement, l’extrême droite populiste a connu un essor massif en Europe. Son exigence d’un cloisonnement total du continent a généré la pression sous laquelle la réforme actuelle a finalement abouti.
Cette pression de la droite se reflète également dans les décisions d’avril 2024. L’élément central de la réforme est la possibilité d’arrêter les personnes en quête de protection à proximité de la frontière par des procédures de filtrage et de rétention et de leur interdire l’entrée sur le territoire. Une fois de plus, la réforme ne crée pas de véritable système de solidarité, les États pouvant continuer à se soustraire à leur obligation de protection des réfugié·es. Les possibilités étendues pour les États membres de s’écarter aussi des normes minimales désormais encore plus réduites en cas de crise sont toutefois particulièrement fatales.
L’horizon d’un système d’asile européen commun, qui responsabiliserait les États membres et organiserait la protection des réfugié·es de manière solidaire pour l’ensemble du continent, a ainsi nettement reculé. C’est un très mauvais présage pour l’avenir du projet européen.