Centres fédéraux d’asile : à quand un changement de paradigme ?

Article
Zeichnung eines Stacheldrahts

Au mois d’avril 2024, le Conseil fédéral a adopté son message visant à modifier la loi sur l’asile, afin d’améliorer la sécurité dans les Centres fédéraux d’asile (CFA). Validée fin juin par la Commission des institutions politiques du Conseil national (CIP-N), la modification de loi sera à l’ordre du jour de la session parlementaire de septembre[1]. Certes nécessaire, elle ne résoudra en rien la violence systémique et la déshumanisation qui imprègnent ces centres.

 

Pour rappel, ce projet de loi vise à combler des lacunes mises en lumière par le rapport d’enquête de l’ancien juge Oberholzer[2], mené à la suite de violences perpétrées dans les CFA à l’encontre de personnes requérantes d’asile : agents de sécurité violents, cellules d’isolement dont l’usage n’est légitimé par aucune base légale, rapports truqués pour justifier ces pratiques hors du droit[3]. Il s’agit donc pour l’autorité de mettre un cadre légal autour de pratiques comme les fouilles, la contrainte ou les mesures disciplinaires, et de préciser les tâches qui peuvent être déléguées à des tiers, notamment celles concernant l’ordre et la sécurité. La modification proposée en avril fait suite à une procédure de consultation à laquelle les Centres sociaux protestants – entre autres − ont participé. Nous y approuvions la volonté de légiférer sur des pratiques violentes et souvent obscures, mais nous jugions la modification largement insuffisante, trop peu d’attention étant donnée aux besoins des personnes en demande d’asile alors même que ces mesures touchent à leurs droits fondamentaux[4].

 

Quelques changements bienvenus, mais des manques flagrants

Dans sa mouture finale, quelques modifications ont été apportées et le Conseil fédéral a repris certaines des revendications formulées par les organisations de défenses du droit d’asile. Il en va ainsi de la mention expresse du principe de proportionnalité concernant le recours à la contrainte policière et la rétention provisoire, de la précision selon laquelle toutes les mesures disciplinaires doivent être ordonnées par écrit, ou encore de l’indication de voies de recours possible, bien qu’elles restent souvent restrictives[5]. Autre amélioration importante: l’assignation à un centre spécifique − ou centre pour « requérants récalcitrants ». Jusqu’ici, cette sanction ne pouvait être contestée que lors du recours contre la décision d’asile, parfois des années après. Elle pourra désormais être contestée par un recours distinct si la décision d’asile n’est pas notifiée dans les 30 jours suivant l’assignation au centre spécifique. 

 

Par contre, plusieurs revendications importantes n’ont pas été prises en compte. Entre autres, les fouilles corporelles resteront systématiques et ne sont pas réservées aux cas de soupçon concret. Le projet de loi ne propose d’ailleurs pas la possibilité de choisir le genre de la personne qui effectue la fouille. Et si le projet énonce que les intérêts des personnes requérantes d’asile mineures doivent être pris en compte de manière appropriée, ces dernières n’ont été exclues ni des fouilles, ni des mesures disciplinaires, ni de la rétention provisoire (15-18 ans). Ajoutons encore que l’interdiction de l’usage d’armes lors des interventions du personnel de sécurité a été maintenue, mais cette interdiction n’a pas été étendue aux moyens auxiliaires ; entendez par là menottes, chaînes ou encore chiens de service. Enfin, et cela montre bien à quel point l’autorité ne priorise pas le besoin de sécurité des personnes concernées, aucune base légale n’a été introduite pour permettre la constitution d’un organe indépendant de dépôt des plaintes digne de ce nom pour les résident∙es des CFA[6].

 

Cela suffira-t-il ?

Alors oui, quelques garde-fous ont été ajoutés par-ci, quelques précisions par-là. Il n’en reste pas moins l’impression d’un cataplasme sur une jambe de bois. Rappelons-le, ces centres fédéraux transpirent l’autorité et la violence, entre grillages et barbelés, encadrement sécuritaire, fouilles et mesures disciplinaires, contrôle des présences, règlements stricts, droits limités, isolement géographique et promiscuité, attente et oisiveté forcée, infantilisation. Ajoutez à cela un encadrement socio-sanitaire insuffisant assuré par des entreprises privées pour qui logiques financières et managériales prennent le pas sur la qualité du soin et de l’accueil , des entreprises à qui les tâches sont « déléguées », avec tout ce que cela comporte de bureaucratie inutile et de dilution des responsabilités[7].

 

Au sein de ce régime disciplinaire et privatisé, tant mieux si quelques dispositions mettent une bride aux agent·es de sécurité et règlementent la sous-traitance, tant mieux si la mise en marges est un peu cadrée, un plus sûre. Mais ça ne changera rien au fait que le concept même de grands centres fédéraux isolés, où sont entassées des centaines de personnes pour un temps long, dans des conditions semi-carcérales et avec un encadrement lacunaire, n’a rien d’un dispositif d’accueil et ne peut qu’être porteur de violence et de déshumanisation. Nous ne le répéterons jamais assez, c’est tout le dispositif qu’il faut repenser pour une véritable politique d’accueil, de refuge et d’hospitalité.

 

Raphaël Rey, CSP Genève

 


 

[1] SEM, Le Conseil fédéral adopte le message visant à renforcer la sécurité au sein des centres fédéraux pour requérants d’asile, communiqué, 24.04.2024.CIP-N, Sécurité au sein des centres fédéraux d’asile : oui au projet du Conseil fédéral, communiqué, 28.06.2024.

[2] Niklaus Oberholzer, Bericht über die Abklärung von Vorwürfen im Bereich der Sicherheit in den Bundesasylzentren, 30.09.2021.

[3] Giada de Coulon, « Violences dans les centres fédéraux d’asile », asile.ch, 07.05.2021 ; Sophie Malka, «Audit sur les violences dans les centres fédéraux : au-delà de l’exercice de communication », décryptage, Vivre Ensemble VE 185, décembre 2021.

[4] Centres sociaux protestants, Réponse à la consultation relative à l’avant-projet de modification de la loi sur l’asile : sécurité et exploitation dans les centres de la Confédération, 03.05.2023. Raphaël Rey, Centres fédéraux d’asile : la coercition comme unique solution?, VE 193, juin 2023.

[5] La personne requérante d’asile peut ainsi faire recours contre une mesure disciplinaire devant l’instance de recours du SEM – et non un organe indépendant – dans un délai de seulement trois jours. Ajoutons que ce recours n’est pas inclus dans le mandat de la protection juridique.

[6] Voir Juliette de Montmollin, Rapport d’évaluation : Bureaux externes de signalement des plaintes dans les CFA de Bâle et Zürich, asile.ch.

[7] Camilla Alberti, Asile et externalisation : un système qui n’assume pas ses responsabilités, VE 185, décembre 2021.