Règlement relatif à la gestion de l’asile et de la migration : Dublin est mort, vive Dublin ?

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CCAC Samos (© Nik Oiko, 2021)

Sosf : La Suisse participe au régime d’asile européen commun (RAEC) par le biais du règlement Dublin III. Qu’est-ce qui se cache derrière ce terme ?
Lara Hoeft : En tant que « pièce maîtresse » du système RAEC, le règlement Dublin III contient des règles pour déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile. Le système de Dublin vise à garantir qu’un seul État membre soit responsable pour chaque personne. Il vise également à empêcher les demandeur·ses d’asile de déposer plusieurs demandes d’asile dans différents États membres, soit en parallèle, soit successivement. Le régime de Dublin se caractérise par le fait que les personnes demandeuses d’asile ne peuvent pas décider elles-mêmes dans quel pays elles souhaitent entamer une procédure d’asile. Le système repose sur l’hypothèse que les systèmes de protection sont identiques dans tous les États membres. Or, des exemples comme la Croatie, la Grèce, la Bulgarie et la Lettonie montrent une réalité différente.


Dans le cadre de la réforme du RAEC, le règlement Dublin III devient le règlement sur la gestion de l’asile et de la migration (RGAM). S’agit-il seulement d’un vieux vin dans de nouvelles bouteilles ou y a-t-il des changements fondamentaux ?
Le vin est déjà vieux, mais il devient encore plus imbuvable. Tous les principes fondamentaux du système de Dublin, notamment le principe de responsabilité, restent en place. Les problèmes connus ne changeront donc pas : les États qui ont autorisé ou n’ont pas empêché l’entrée de demandeur·ses d’asile continueront d’être responsables des demandes d’asile qui en résultent. Et c’est et cela restera en règle générale les pays situés aux frontières extérieures.


Qu’est-ce qui change en plus ?
Des durcissements importants sont introduits à de nombreux endroits, notamment en ce qui concerne les délais. Actuellement, par exemple, la responsabilité d’un État membre s’éteint lorsque la personne requérante d’asile a quitté l’espace Schengen pendant trois mois. Ce délai sera porté à neuf mois. Si une personne est arrivée avec un visa, l’État membre qui a délivré le visa est actuellement responsable d’une éventuelle demande d’asile pendant six mois après l’expiration du visa. Dans le RGAM, ce délai est porté à 18 mois.


Le traitement des requérant·es d’asile mineur·es non accompagné·es (RMNA) constitue un autre durcissement significatif. Actuellement, c’est toujours l’État dans lequel se trouvent les RMNA qui est responsable de leur procédure d’asile. Cela signifie que les RMNA ne sont actuellement pas concerné·es par les transferts Dublin et peuvent en fait choisir le pays dans lequel iels souhaitent mener leur procédure d’asile. Cette règlementation est supprimée ! Désormais, c’est l’État de première entrée qui sera en principe responsable, « pour autant que cela serve l’intérêt supérieur de l’enfant ».


Et qu’en est-il des délais pour les transferts Dublin ?
Après une décision Dublin exécutoire, la Suisse dispose actuellement de six mois pour renvoyer la personne concernée dans l’État membre compétent, à compter de l’accord de cet État ou d’un jugement négatif du Tribunal administratif fédéral. Si elle n’y parvient pas, la Suisse devient elle-même responsable de la procédure d’asile et de l’octroi d’une autorisation de séjour.


Cette période dite de transfert peut être étendue à 18 mois si la personne est considérée comme « disparue ». La question de savoir quand cela est le cas n’est pas définie avec précision et fait régulièrement l’objet de débats devant les tribunaux. Avec le RGAM, ce délai devrait pouvoir être porté à trois ans, et ce dans un nombre de cas bien plus important. Par exemple lorsqu’une personne « ne remplit pas les conditions médicales requises pour son transfert ». Cela laisse une très grande marge de manœuvre aux autorités et fait des maladies ou des hospitalisations un motif potentiel de prolongation du délai de transfert. Pour les personnes concernées, cela signifie des années d’incertitude et d’illégalisation.


Quels sont les objectifs de ces durcissements ?
De mon point de vue, l’objectif est de limiter les stratégies de résistance actuelles des demandeur·ses d’asile et d’empêcher les mouvements dits secondaires. Le fait que certains droits et garanties de la directive sur l’accueil ne s’appliquent plus lorsqu’une personne séjourne dans un État membre qui n’est pas responsable de son cas va également dans ce sens. Les législateur·ices de l’UE ont reconnu les stratégies de contournement des demandeur·ses d’asile utilisées jusqu’à présent et les « lacunes » du règlement de Dublin et rendent désormais le RGAM encore plus défavorable pour les demandeur·ses d’asile que ne l’est déjà le règlement de Dublin.


Quelles sont les conséquences pour la Suisse ? Qu’est-ce qui va changer dans le système d’asile suisse ?
La réforme de Dublin doit être considérée dans le contexte de l’ensemble du paquet législatif. À cet égard, la surveillance des demandeur·ses d’asile et les conditions dans lesquelles vivent les personnes soumises à la procédure de Dublin vont notamment continuer à s’aggraver. Comme je l’ai dit, je vois un danger considérable dans la possibilité de prolonger le délai de transfert à trois ans et de priver ainsi durablement les personnes concernées de leurs droits. La Suisse applique déjà le règlement de Dublin de manière nettement plus stricte que d’autres pays. Le RGAM donnera à l’avenir au SEM une marge de manœuvre encore plus grande.


Au sein du service de conseil juridique de Pikett Asyl, tu es confrontée quotidiennement à des cas Dublin. Quel sera l’impact des changements mentionnés sur la vie des personnes en fuite ?
Le temps « perdu » dans l’attente de l’expiration du délai de transfert et l’incertitude qui en découle sont extrêmement pénibles pour nombre de nos demandeur·ses de conseils. Pendant cette période, les personnes ne peuvent participer que de manière très limitée à la vie sociale, par exemple par le biais de cours ou de programmes de langue proposés par la société civile. Comme ces personnes sont considérées comme des demandeur·ses d’asile débouté·es, indépendamment de leurs motifs d’asile, elles n’ont en fait aucune possibilité de travailler ou d’avoir une activité conforme à leurs intérêts. À cela s’ajoute le manque de transparence sur le processus d’expulsion et le risque permanent d’une expulsion inopinée. Cette situation sera encore considérablement aggravée par l’allongement simplifié du délai de transfert à trois ans. En outre, les durcissements rendront quasiment impossibles d’autres stratégies de contournement, même si celles-ci étaient déjà difficiles à mettre en œuvre.


Si de nombreuses lacunes ont été comblées, restera-t-il encore une marge de manœuvre pour des pratiques de résistance ?
Il y a toujours une marge de manœuvre, en fin de compte la loi ne fait que réagir aux multiples stratégies des personnes migrantes. Les gens trouveront de nouvelles voies et ce renforcement de la loi n’empêchera pas la migration vers l’UE ni les mouvements au sein de l’UE. 


Lara Hoeft est conseillère juridique et co-directrice de l'association Pikett Asyl

 

En bref: Règlement sur la gestion de l’asile et de la migration
Le RGAM remplace le règlement Dublin III et devait à l’origine ouvrir la voie à une répartition plus solidaire des demandeur·ses d’asile entre tous les États membres de l’UE. Mais tel qu’il a été adopté, il poursuit sans interruption la répartition inégale des cas et conduira à encore plus d’expulsions au sein de l’espace Schengen. Le « mécanisme de solidarité » s’est transformé en un commerce d’indulgences permettant aux États hostiles à la migration de se libérer de leurs obligations en matière de droit d’asile.

 

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